Nouvelles

ÉCRIRE CE QUI PASSE AVEC LE TEMPS ET QUI REVIENT DE TEMPS EN TEMPS

Pierre Hauzy : magicien de l’ordinaire


Pierre Hauzy s’adresse à la petite voix qui chante en nous les mots du souvenir des jours qui disparaissent de nos écrans de vie sans laisser de trace apparente.

Chacune de ses nouvelles est un fait-divers modeste que l’écriture s’efforce d’anoblir pour le meilleur ou pour le pire de nos petites existences sans histoire. Qui se surprennent parfois à se reconnaître au détour d’une phrase, d’une situation, d’un article du journal.


PH se veut détective des mots. Il plonge au cœur des faits-divers qu’il s’invente pour en extraire la matière de ses nouvelles. À la manière d’un enquêteur, il reconstitue les scènes, s’aventure sur la pointe des pieds dans les méandres psychologiques des personnages, et ce faisant nous invite à une réflexion sur les rouages de la nature humaine.

Chaque nouvelle est une enquête, une invitation à reconstituer le puzzle d'une histoire vraie ou qui aurait pu l’être.

Ses récits nous rappellent aussi que l'expérience humaine, dans toute sa diversité, est profondément universelle. Les joies, les peines, les espoirs et les désirs qui animent les protagonistes de ces petites histoires résonnent en chacun de nous.

En ce sens, le fait-divers initial devient un miroir où nous pouvons reconnaître en nous toutes les facettes de la condition humaine.


By Jean Paul Pierozzi April 25, 2025
À la mémoire de mon père Ce soir-là, au Calypso, le violoniste n’était vraiment pas dans son assiette. Appuyé à sa contrebasse dont il jouait aussi au besoin, il pinçait ses cordes graves, le regard perdu dans la boule de cristal. On voyait bien qu’il était ailleurs. Sauf que dans un orchestre, c’est la contrebasse qui donne le tempo si bien que La Cumparsita, méconnaissable, s’épuisait en langueurs mièvres. Nello, l’accordéoniste, déployait sa fisarmonica en longs soupirs moroses. Et Otto, à son piano, qui avait fait huit heures d’usine avant de venir, risquait bien de s’endormir. Même le saxo de Grandé n’avait pas l’air en forme. Autant dire qu’on s’ennuyait tristement, sur scène et dans la salle. – Mais qu’est-ce qu’ils jouent mal ! se chuchotaient les couples sur la piste en traînant des pieds. C’est mou, ça ne donne pas envie de danser. Vivement que ça finisse ! Tu le connais cet orchestre, toi ? – C’est qui ? – En tout cas, je ne les ai jamais vus ici. – D’où ils viennent ? – Est-ce que je sais ? – Et puis on s’en fout, ils sont mauvais, c’est tout. Tatatatata … ta ta … Les sept notes de la pause entre deux séries égrenées au piano furent accueillies comme une libération. – Ouf ! Il était temps. – Heureusement qu’après c’est les cha-cha-cha. – ça va nous réveiller. – Espérons. – Je boirais bien une bière, moi. Tu viens, chérie ? Une dizaine de minutes plus tard, assis à leurs tables disposées autour de la piste, les danseurs, déjà prêts à se lever, attendaient le signal de la reprise. Grandé, le chef d’orchestre, s’approcha du micro et, les deux bras tendus, leur fit signe de rester assis. – On m’a demandé pourquoi le violoniste est si triste ce soir, dit-il sans préambule. Les autres musiciens m’ont posé la question et aussi le patron, derrière le bar. – Qu’est-ce qu’il a ? – Qu’est-ce qui ne va pas ? – Est-ce qu’il est malade ? Rien de tout cela, Messieurs Dames. Je vais vous le dire, moi, ce qu’il a Dino. En bas de l’estrade, les gens s’interrogeaient du regard. « Nous dire quoi ? » – On t’a rien demandé, dit un grincheux impatient de danser avec sa cavalière, joue, on veut danser, nous ! Et puis t’es payé pour ça. – Moi, c’est bien simple, je ne donne rien, dit un grand sec qui s’était levé avant tout le monde. – Voilà, reprit Grandé faisant mine de rien, Dino doit partir lundi pour l’Algérie. C’était donc ça qui travaillait le musicien, l’Algérie ! La belle affaire ! – Mon fils est déjà là-bas, depuis sept mois, dit aigrement une voix de femme. – Le mien aussi, depuis presque un an, renchérit une autre. – Pourquoi pas les musiciens ? – Pas de politique, hein ? C’est un dancing ici, dit un gros homme à bretelles, serré contre sa petite femme aux lèvres rouge sang. Au fond de la scène, accoudé à son instrument Dino écoutait, regardait, se taisait, gêné au fond de l’intervention de son ami d’enfance qui avait agi d’instinct, sans le consulter. D’où cette fausse indifférence qu’il affectait, comme si ce n’était pas de lui qu’on parlait. – Minute ! dit Grandé pour couper court à la rumeur qui enflait, Dino c’est à cause d’une erreur qu’il doit partir. Oui, une erreur. Il a trois enfants … Le plus grand n’a pas sept ans … Il n’aurait jamais dû être appelé. Ils se sont trompés. – Fallait aller leur dire … – À qui ? demanda Grandé ? Au centre de recrutement, ils ont dit à sa femme qu’ils ne pouvaient rien faire ... Elle a écrit au ministère … – Et alors ? – Un colonel lui a répondu qu’effectivement il y avait eu erreur, mais qu’il était trop tard pour y remédier. Son mari devait partir, à moins ... – À moins … – qu’il trouve un substitut. – Un quoi ? – Un remplaçant. Dans la salle les rires ne se firent pas attendre, ni les commentaires moqueurs. – Tu parles ! … – La bonne blague ! … – Faudrait être fou ! – Bon, vous jouez ou quoi ? On va pas y passer la nuit … cria le grincheux, exaspéré d’attendre encore. – C’est qui Dino ? dit tout à coup un jeune débraillé, en s’avançant vers la scène un bock à la main. Les regards des musiciens se tournèrent à l’instant vers le contrebassiste. – Je pars à ta place, Dino, dit crânement le jeune. Je reste jusqu’à la fin du bal, tu m’expliqueras ce que je dois faire. Tu as ma parole. – Faut vraiment avoir envie de voir du pays, dit une femme entre deux âges. Si tu étais mon fils … – Sauf que vous n’êtes pas ma mère ! Un tonnerre d’applaudissements fit taire la rombière. Des sifflets, des verres entrechoqués, quelques BRAVO saluèrent spontanément le geste du jeune homme, tandis que sur la scène revigorée ondoyaient les premières notes du cha-cha-cha della segretaria. (…) Quinze ans plus tard, à Sierck, le soir de la Saint-Jean, les musiciens venaient de terminer une série de marches. Grandé avait déposé son saxo, Dino sa guitare basse, Nello refermé son bandonéon. La piste en plein air s’était lentement vidée de ses danseurs. Sauf un homme et une femme, au milieu, qui n’avaient pas bougé. Ils étaient restés plantés là, en silence. Lui, la trentaine avancée, le cheveu rare, chemise blanche, le col ouvert, un peu d’embonpoint … Elle, petite et mince dans sa robe noire, le cou embelli d’une parure de grosses perles, regardait à droite, à gauche, gênée de se sentir observée. Surtout que les gens en bord de piste qui s’interrogeaient du regard, et se les indiquant d’un mouvement de tête. Par contre, les musiciens sur l’estrade les avaient à peine remarqués, occupés comme ils étaient à se partager les boissons. Seul le pianiste, Otto, qui entre temps avait troqué son piano contre un clavier électronique qu’il maîtrisait à grand peine, les avait remarqués. Intrigué, il leur fit signe qu’ils pouvaient s’asseoir, la musique ce n’était pas pour tout de suite … – Dino ! cria soudain l’homme en marchant vers la scène son paquet de gitanes à la main. Interpellé, mon père s’avança sur le devant de l’estrade et regarda l’homme en bas, la tête en l’air. – Tu ne me reconnais pas ? –… – 60… Le Calypso… l’Algérie ! L’un et l’autre ne s’était jamais revus, ni même savaient s’ils existaient encore. À la fin du bal, comme il l’avait annoncé, le jeune homme avait attendu le musicien ; il avait noté son nom, son adresse, le centre de recrutement où il allait devoir se présenter le lundi. Rien de plus. Il n’avait pas voulu lui laisser de nom ni d’adresse. – Comme ça tu n’auras pas à me remercier, lui avait-il dit en lui serrant la main … ou à te bousiller le moral avec des remords, si jamais … De toute façon, moi personne ne m’attend. Donne-moi quand même la tienne, je t’enverrai une carte du bled. – Un dernier verre ? – Non il est tard. Tchao Dino. 60, 61 ?… Le Calypso … l’Algérie ! … Alentour, on attendait de savoir. En silence. Tous les regards convergeaient vers les deux hommes. Soudain il y eut des petits cris de surprise quand mon père, comme piqué au vif, sauta brusquement en bas de l’estrade pour plonger littéralement dans les bras de l’homme. Et des applaudissements aussi quand on les vit rire et pleurer l’un et l’autre en s’embrassant, comme des enfants. – Tu aurais pu m’envoyer une carte lui dit mon père, ça m’aurait fait plaisir de te savoir vivant. – Je sais, mais j’avais perdu ton adresse. FIN
November 3, 2024
Halb sechs. Früh morgens. Rinaldo est réveillé par trois petits coups de poing contre le mur de sa chambre. C’est Ninetta qui l’appelle de la cuisine. Il s’habille assis sur son lit, enfile ses grosses chaussettes, son pantalon de coutil qu’il a laissés par terre en se couchant, et sort de sa chambre en maillot de corps, un broc de tôle émaillée à la main. Il frissonne. Il vient tout juste d’avoir seize ans, aujourd’hui.
September 21, 2024
Comme il n'y avait plus rien de nouveau à voir sur leur pauvre vieille Terre desséchée, tout ayant été exploré, colonisé, cartographié, spolié, vendu depuis si longtemps, ses habitants les plus fortunés, insatiables amateurs de nouveautés, partirent à la découverte des dernières glaces vierges et vides, dont l’extrême rareté augmentait d’heure en heure leur valeur et leur prix.
August 21, 2024
À première vue l’édifice ressemble à une clinique de luxe ou à une maison de retraite de même niveau. Ultra moderne, l’architecture aux lignes géométriques épurées fait grand cas du verre et des parois réfléchissantes. C’est une belle journée de juin, tôt le matin. J’ai traversé un grand champ de blé mûr, puis une petite route de campagne avant d’arriver sur un vaste parking, complètement vide.
April 18, 2023
J’ai longtemps roulé sur une route de campagne bordée de grands arbres à l’abondant feuillage. De part et d’autre, un même paysage de grands champs de maïs encore vert se terminait par les contours sombres d’une vaste forêt. Devant, la route droite, sans marquage, légèrement descendante et le ciel d’un beau bleu printanier.